Un prolétaire au Figaro HAMELET, Michel-P.

Un prolétaire au Figaro

De pierre BRISSON à Robert HERSAN

Éditeur GRASSET

Mai 1987, 408 pages

À la mémoire de mes amis disparus, pionniers des temps modernes :

Albert GLEIZES, conciliateur, à travers son œuvre picturale et littéraire, de la forme et l’histoire de l’homme et de la société.

Marcel MERMOZ, prolétaire évadé du léninisme, infatigable animateur du mouvement communautaire.

Page 158

… C’est ainsi qu’avec l’acquiescement actif de Pierre BRISSON je devais aborder au cours de mes recherches un thème selon mon cœur, qui représente encore aujourd’hui un grand moment de ma vie professionnelle : celui des Communautés de travail, dont la plus avancée, née dans le maquis du Vercors, devait lutter sur deux fronts, partagée entre le travail et les combats contre l’occupant ou la milice de Vichy : c’était devenu la célèbre communauté Boimondau à Valence, dite encore « Communauté Marcel BARBU », du nom de son premier animateur.

J’ai retrouvé dans mes notes l’enthousiasme qui s’empara de moi lorsque je me rendis pour la première fois à Valence, au cours de cette enquête sur la fin du salariat.

C'était à la date du 23 mars 1946 :

« J'ai pris contact aujourd'hui avec cette chose extraordinaire qui s'appelle la  « Communauté Marcel BARBU ». Une Communauté d'hommes au travail, maîtres de leurs instruments de production, se jugeant eux-mêmes, se respectant et s’aimant les uns les autres, sans aucune des contraintes, des méfiances, des luttes d’égoïsme habituelles dans notre civilisation capitaliste. Des chrétiens militants, des communistes et des non-communistes attelés à la même tâche, vivant chacun leur idéal dans une conception qui les libère tous… J’ai vu véritablement un monde nouveau : femmes, compagnons, techniciens, dirigeants, évaluant eux-mêmes leurs travaux, comme cela va se dérouler demain dans une salle de la Bourse du Travail de Valence. Je suis tout cela avec passion. Marcel BARBU est personnellement de conviction chrétienne. Je vois la foi éclater dans toute la personne de cet homme dont le nom prête pourtant à bon rire… »

J’étais revenu à Paris plein de mon sujet. J’avais, en fait, retrouvé à la fois Jésus-Christ et le socialisme au moment où ma propre foi religieuse traversait un long désert, ce désert toujours prêt à recouvrir les sources fraîches, que tous les croyants ont un jour traversé...

Sans doute y avait-il dans cette héroïque histoire de la communauté Boimondau (comme je la qualifiais dans Le Figaro du 26 avril), une bonne part d’utopie. C'était une tentative de globalisation des activités humaines dans et par le travail productif. La valeur professionnelle n’entrait que pour une part dans la rémunération des compagnons comme du chef d’entreprise, élu par la communauté. Marcel BARBU m’expliquait :

« Nous rémunérons l'homme tout entier, à sa valeur humaine, c'est-à-dire en tenant compte non seulement du travail accompli, mais encore des activités sociales consenties, de l'effort fait par le compagnon pour se cultiver, de ses connaissances diverses... »

Dans ce système, les occupations de la mère de famille, de la ménagère, celles de l’enfant lui-même et ses résultats acquis à l’école, sont pris en compte et également rémunérés. La cinquième République devait tardivement adopter cette conception concernant le travail de la ménagère. Tout l’édifice socio-économique était intégré dans la règle communautaire. Curieux rappel de la discipline des communautés religieuses.

À côté de BARBU, le chef de file des compagnons communistes s'appelait Marcel MERMOZ.

Son stalinisme était heureusement tempéré par les enseignements et expériences d’une jeunesse anarchiste. Nous nous reconnûmes spontanément fraternels et cette profonde amitié que la mort a interrompue, mais non effacée en janvier 1982, justifie à elle seule mon « aventure » communautaire.

Jeune ouvrier métallurgiste dans la région parisienne, ce Savoyard volontaire et idéaliste à la fois, adhère au parti communiste dont il devient rapidement, et parallèlement à son action au sein de la C.G.T., un responsable écouté. En 1939, après le pacte germano-soviétique qu’il approuve comme une nécessité historique, il est interné avec d’autres militants au camp de Saint-Sulpice où sa soif de connaître lui fait dévorer tous les livres qui lui tombent sous la main. Cet inextinguible besoin de culture l’animera toute sa vie et fera de lui au temps de sa vieillesse un étonnant spécialiste de l’Égypte, parlant plusieurs langues, doublé d’un infatigable réviseur de dogmes, y compris le marxiste. Évadé du camp de Saint-Sulpice, il rejoint le maquis du Vercors, rencontre BARBU et la communauté naissante, participe au combat de la résistance et je le rencontre, toujours communiste et stalinien, à Valence, en ce printemps de 1946, pour une longue et indéfectible fraternité. C’est lui - BARBU s’étant retiré - qui prend en main les destins de la communauté et fonde avec d’autres camarades, l’Entente Communautaire, fédération des communautés de travail ; et c'est lui qui, jusqu’à sa mort, après la disparition de Boimondau, continue à tenir la barre communautaire en animant à Valence, au sein d’une « Cité horlogère » deux petites communautés de boîtiers de montres. Ce centre de Valence était en même temps une terre d’asile pour travailleurs immigrés. MERMOZ n’était plus communiste, s’il demeurait toujours le porteur d’une flamme révolutionnaire nourrie non plus de MARX, mais d’un profond humanisme. Son « anarchisme » seul était demeuré vivant, transformant sa violence idéologique en cette soif de justice qui le porta à poursuivre un dernier combat : celui de gardien vigilant de l’œuvre de Panaït ISTRATI, ignominieusement calomnié par ses anciens compagnons du P.C. et traqué par l’appareil soviétique international dont l'un des principaux aboyeurs fut Henri BARBUSSE. Les « Cahiers Panaït ISTRATI » qu'il anima jusqu’à la veille de sa mort douloureuse sont le dernier témoignage de ce destin hors-série.

Les communautés de travail fonctionnent aujourd’hui sous le régime des coopératives ouvrières de production. De cette grande et trop courte période où l’imagination était véritablement au pouvoir - bien avant le « maelström » de 1968 - il reste encore des hommes formés à la rude et riche discipline de la foi communautaire.

Le secrétaire général des Coopératives de production Yves RÉGIS ; l’initiateur du « prêt à bail » français Lucien PFEIFFER ; Michel ANSELME ; le fondateur des « Castors » et de Baticop sont, entre bien d’autres, des anciens de Boimondau...

La leçon à tirer de ces expériences fugaces, c'est qu'on ne peut en vérité socialiser le capitalisme. Mitterrand fait également les frais de cette erreur d'optique.

On n’établit pas le socialisme avec les moyens du capitalisme, sauf à réduire celui-ci en esclavage. Mais c’est une autre histoire...

Page 180

Je me souviens… ou encore de cet aumônier de la prison du Cherche-Midi qui arrive avec un jeune homme, petit, athlétique, les cheveux en brosse, le regard pur, « Mon petit Lulu, qu’est-ce qui t’amène ? » demande la Père.

« Petit Lulu » explique les préoccupations de son jeune compagnon : il est tonnelier. Son employeur lui propose de lui abandonner l’entreprise, à lui et aux quatorze compagnons qu’il emploie.

Alors, dit l’aumônier, ils ont pensé à se mettre en communauté de travail et je te les amène…

On verra avec Rochebrune, dit le Père.

Page 310 : Participation et lutte de classes

… Les promoteurs des Communautés de travail : Marcel BARBU et Marcel MERMOZ avaient compris, à la Libération, la force de ce processus. Ils ont échoué précisément à cause d’une législation léonine exprimant un rapport de force hostile à l’idéal communautaire. Échec dû aussi à l’insuffisant intérêt pris par l’ensemble de la classe ouvrière à cette initiative combattue jusque dans les instances du Parti Communiste qui y voyait une initiative propre à démobiliser l’ensemble des forces populaires. Marcel MERMOZ avait raison de s’écrier à la fin de sa vie : « L’autogestion, c'est pas de la tarte ! ».

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Date de dernière mise à jour : 22/08/2024

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