Notre-Dame de Fortunière

Notre-Dame de Fortunière 

Notre-Dame de Fortunière

 

 

En regardant le plan cadastral de 1698 de la commune d’Étoile, à l’ouest de la Route Royale n°7 de Lyon à Marseille (nom indiqué sur le plan), un peu avant le pont sur la Véore en venant de Valence, il est indiqué « Notre dame de Fortunière »

Gérard SENGER, passionné par l’histoire de la commune, a fait quelques recherches…

Il serait stérile de traiter directement des églises d’Étoile sans les replacer dans le cheminement du contexte historique du christianisme dans le monde romain et dans notre région en particulier.

Cela nous amènera de fait à l’époque où, selon toute vraisemblance, il y eut un premier lieu de culte à Étoile. En effet, n’est-il pas vrai que sans évangélisation, ni fidèles, point n’est besoin d’un lieu de culte. Il n’y a pas génération spontanée.

Lors de l’avènement du Christ, 120 ans s’étaient déjà écoulés depuis que le Consul DOMITIUS avait triomphé à Pont d’Isère, au confluent de l’Isère et du Rhône, de la coalition Arverne, Allobroge et Ruthène. Au premier siècle de notre ère, la région valentinoise faisait partie de la province sénatoriale romaine de la Narbonnaise ; sa culture était profondément romanisée on dirait aujourd’hui qu’elle était déjà fortement intégrée. Pour exemple, des villes bien connues telles que Lyon, Valence, Orange, sans omettre Vienne sont considérées comme cités, et dotées d’une structure sociale, administrative, culturelle et politique romaine.

Il apparaît donc normal que le Christianisme suive le tracé des grandes voies de circulation et celui plus virtuel des évolutions de la culture romaine et des idées du monde connu de l’époque. Il trouvera ainsi des terrains propices à son implantation au cours du 2ème siècle à Valence. C’est en effet à cette époque qu’arrive à Lyon un chrétien de Phrygie (Asie Mineure), nommé POTHIN ; il devient le premier évêque de la nouvelle Communauté et sera martyrisé en 177. Il aura pour successeur IRÉNÉE, Phrygien également. De cette époque date le premier document chrétien de la Gaule : c’est une lettre des chrétiens de Lyon à leurs frères de Phrygie et d’Asie, relatant leurs tribulations sous l’Empereur VERRUS de 166 à 169, coempereur de MARC-AURÈLE.

La tradition veut que Valence ait été évangélisée à la fin du 2ème siècle par des missionnaires du nom de FÉLIX, FORTUNAT et ACHILLÉE, envoyés par IRÉNÉE de Lyon.

Ils subirent le martyr et un premier oratoire en marqua le lieu après l’édit de Milan, proclamé par CONSTANTIN en 313, accordant aux chrétiens, paix et liberté religieuse. Ce modeste oratoire fut à l’origine de la fameuse abbaye de Saint Félix « extra muros » de Valence.

Jusqu’à cet édit, il ne faut pas croire que les chrétiens aient été systématiquement persécutés et les persécutions continues. Elles étaient variables suivant les régions, les circonstances, les empereurs (exemple NÉRON) et ne l’oublions pas, le comportement des chrétiens eux-mêmes, parfois provocateur.

Il est bon de noter que rapidement les chrétiens avaient représenté, surtout à Rome et dans les provinces d’Afrique, un courant politique, économique et social non négligeable. Ainsi nous pouvons penser à juste titre que les libertés accordées par CONSTANTIN n’étaient point gratuites mais destinées à lui assurer l’appui de forces neuves et représentatives, de plus, très bien structurées. Sans doute est-ce dans ce le même esprit que l’Empereur THÉODOSE, en 391, interdit tout culte païen officiel et décrète le christianisme religion de l’Empire.

Nous arrivons ainsi à l’époque où il y eut vraisemblablement à Étoile un premier lieu de culte, oratoire d’abord, puis vraisemblablement église pour devenir simplement chapelle dans la suite des temps. Elle fut peut-être église baptismale [1] et épiscopale. Je me bornerai à vous faire part de ce qui suit :

En lisant le cartulaire de l’Abbaye de Saint-Chaffre, je découvris parmi ses possessions « l’Église des Fortunières ». Elle apparaît dans la Bulle des privilèges accordés à l’Abbaye de Saint-Chaffre par le pape Alexandre III en 1179, sous la mention de « Ecclésia de Fortunariie » et dans celle du pape Clément IV de 1265, confirmant les dits privilèges, sous la mention « Ecclésia de Fortunariie ». Il s’agit donc bien d’une église et non d’une chapelle, autrement le terme employé serait « capella », ainsi que nous pouvons le constater dans les mêmes Bulles. Ainsi, nous trouvons cité « Ecclésia de Stella cum capella » (l’église d’Étoile avec la chapelle).

Le chanoine Ulysse CHEVALIER situait cette église sur le territoire d’Étoile. Après une première recherche à la mairie de cette ville, nom du terrain et église demeuraient inconnus, même sur le cadastre napoléonien. Afin de remonter plus loin, je repris le parcellaire de 1698 et trouvai le « quartier des Fortunières » avec le « chemin des Fortunières » et « Notre-Dame des Fortunières » [2], ainsi qu’un dessin, certes grossier, mais indiquant bien sa place sur la parcelle.

Ce croquis nous permet cependant de distinguer un lieu de culte d’une certaine importance ; abside et absidioles sont très nettement perceptibles, amenant à penser raisonnablement à l’existence d’un bâtiment avec nef principale à deux collatéraux.

[1] Église pour célébrer les baptêmes

[2] Sur le dessin (brouillon) dont parle Gérard SENGER, il est bien écrit « Notre-Dame des Fortunières », mais sur le plan définitif c’est « Notre-Dame de Fortunière » et « Chemin de Fortunière »

L’église ou la chapelle une fois située, j’ai recherché l’origine de ce nom. Je n’ai rien trouvé dans les dictionnaires archéologiques ou de spiritualité. Ce terme de « Fortunières » n’est donc point courant ; il ne figure pas également sur les dictionnaires français. Toutefois, et c’est la clef du problème, le dictionnaire QUICHERAT et DAVELUY, édition 1919, écrit : « Fortunaria (iorum) - neutre pluriel -employé au 4ème siècle dans le sens « éventualités » par l’écrivain africain Julius VALERIUS ». Le mot est également précédé d’un « + ». Cela signifie qu’il est de mauvaise latinité, soit archaïsme, soit, ce qui serait le cas, néologisme.

Par ailleurs, il est reconnu que le culte de la Fortune, déesse romaine qui présidait aux aléas de la destinée humaine, se développa sous l’Empire. Sa popularité est attestée par une foule de monuments. Souvent elle est associée à diverses divinités également bien connues comme Mercure, Isis ou Spes. Elle est aussi désignée par une foule d’épithètes : regina - obsequens - respiciens - virgo - augusta - mirabilis - tout terme que nous voyons appliquer couramment dans le langage chrétien, à Marie, mère du Christ.

Un temple ou un petit monument à la déesse Fortune ou à Mercure, dieu des voyageurs, était souvent édifié à la sortie des villes (ou à l’entrée) rappelant aux passants qu’il serait peut-être utile d’invoquer des divinités au cas où ...

Il nous faut considérer maintenant la situation géographique de l’église de Notre Dame des Fortunières d’après le parcellaire de 1698. Elle se trouvait à 100 mètres à droite de l’ancienne voie Domitia, devenue par la suite chemin royal et enfin N.7 en venant de Valence, avant son passage sur la Véore, à l’endroit où l’on situe également une étape et une station romaine.

Il est donc plausible, compte tenu des us et coutumes de l’époque gallo-romaine, que ce soit trouvé également à cet endroit, un édicule [petit bâtiment] voué à la déesse Fortune. Rappelons que l’édit de THÉDOSE confisquant en 391 les biens des prêtres et des temples, permit aux chrétiens de substituer leurs propres lieux de culte aux vestiges du paganisme ; tel fût le cas à Valence dont le panthéon devint la première église sous le nom de Notre Dame la Ronde. C’est ainsi sans doute que le temple de la déesse Fortune devint sur le bord de la Véore, Notre Dame des Fortunières (on dirait maintenant Notre Dame de la Providence).

Que reste-t-il aujourd’hui de cet édifice encore debout en 1698 ? Rien sur la terre, sinon un beau champ, bien propre, bien labouré au printemps. Toutefois, dans les limites de l’échelle approximative que nous avions déterminées, une différence de teinte de terre grisâtre au lieu d’être ocre comme le reste du champ, nous a semblé délimiter l’implantation possible de ce monument et des granges de Monsieur de SAINT-ANGE qui lui étaient proches. Le quartier porte maintenant le nom de : « les Dorelons » et rien ne vient évoquer aujourd’hui, soit le quartier, soit le chemin ou l’église Notre Dame des Fortunières.

Il ne reste qu’à souhaiter la redécouverte effective de ce premier lieu de culte disparu soit par vétusté, soit sous la pioche des démolisseurs au cours du 18ème siècle. Compte tenu de la qualité fortement alluvionnaire du site, il semblerait que nous devions trouver des vestiges intéressants à une profondeur suffisante pour avoir échappé aux socs des charrues. Cela permettrait d’envisager de manière moins romantique l’histoire du site actuel d’Etoile.

Archives de la Drôme, cote E_3926

Document de Gérard SENGER du 13 mars 1998 (BH 1320/4)

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Date de dernière mise à jour : 27/11/2022

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