La première embauche à l'entreprise de Boitiers de Montres du Dauphiné a eu lieu en juin 1941 et le plus simple pour comprendre l’histoire est de laisser la parole à Robert Brozille :
Y a déjà plus de trois semaines que j'ai quitté l'Armée.
De retour à VALENCE où j'ai toute ma famille, je cherche un emploi dans les Usines de mécanique de la région. C'est en vain que j'ai visité CROUZET - TOUSSAINT - FAURE PLOUTON, et tant d'autres. Mais j'entends toujours la même réponse : Revenez plus tard, en ce moment il n'y a pas de travail. La mine de mes interlocuteurs ne me laisse que peu d'espoir sur ce "Revenez plus tard".
J'ai retrouvé quelques-uns de mes copains d'apprentissage qui ont échappé au désastre de Juin 40 et comme moi cherchent un employeur. C'est aussi décevant pour eux et tous n'ont pas la chance d'avoir un père employé au P.L.M. pour pouvoir attendre.
Certains ont accepté des tâches qui n'ont rien à voir avec leur qualification : travaux de terrassement, goudronnage, etc... Mais il faut tenir car il n'y a pas d'assurance chômage.
Par chance, un voisin serrurier m'indique qu'une usine est en train de s'installer au 41 de la rue Montplaisir.
Je me précipite, et je découvre cette bâtisse en forme de villa dont le pignon fait face à un jardin potager agrémenté d'une jolie treille.
L'entrée est sur le côté du jardin, avec un modeste portillon de bois.
C'est dans ce décor champêtre que je suis reçu par un couple jeune, environ 35 ans.
Je suis surpris par la tenue de ce que je crois être le patron : pantalon court et chemise bleue, large béret incliné sur l'oreille. C'est la tenue des Compagnons de France . Madame est enveloppée dans une blouse gris-bleu, serrée par une ceinture.
Ce sont Monsieur et Madame Barbu.
Nous avons beaucoup parlé à l'ombre de la treille, ou plutôt, j'ai entendu beaucoup de choses, car Monsieur Barbu parle plus qu'il n’écoute... tandis que Madame Barbu, discrètement, m'étudie sur toutes les coutures.
Mon histoire est simple : l'école, l'apprentissage, l'Armée, et rescapé du désastre de 1940 je cherche du travail.
Mais pour moi qui viens d'être débarrassé de la tenue militaire, l'uniforme des Compagnons de France m'incite à la plus grande réserve. Pourtant l'homme est passionnant à écouter, son langage simple, direct et convaincant. Il a des projets plein la tête : finie la lutte des classes Propreté, Ordre, Esprit d'équipe sont des mots que l'on n'a pas souvent l'occasion d'entendre de la part d'un patron.
Mais peu m'importe ce que j'ai entendu ce jour-là de toutes ces idées généreuses.
La seule qui m'intéresse « Je suis embauché à l'essai ».
En cet après-midi du 16 Juin 1941, j'ai quelques scrupules à reporter au lendemain mon entrée en fonction.
Pour bien faire, il faudrait que je commence tout de suite.
Je n'ai pas encore le virus. Ça viendra plus tard !
Robert Brozille a beaucoup écrit de nombreux articles dans le bulletin le Lien et plus tard, dans le bulletin de liaison de l’association des anciens.