Étoile-sur-Rhône 39-45

Se tenir prêt pour le 6 juin

Témoignage de Gabriel Micoud

Gabriel André Micoud est né le 19 avril 1920 à Livron. Ses parents sont cultivateurs à Étoile. Incorporé aux chantiers de jeunesse du 21 mars 1941 au 10 octobre 1941. Fait partie des FFI de la Drôme du 6 juin 1945 au 27 juillet 1944. Blessé au combat à Gigors le 27 juillet 1944, avec blessures multiples par les éclats d’obus. Engagement volontaire en septembre 1944, démobilisé le 29 juillet 1945. Croix de guerre avec palmes.

 

Pour expliquer ce qui s’est passé ce jour-là, il faut remonter un peu en arrière, au printemps 1943.

Mes amis André BERGERON et Jean CHAMPEL m'avait alors mis en contact avec Pierre LAURENT, qui formait une équipe de résistants à Étoile. Comme nous n'étions pas armés, nous nous contentions de recruter des hommes, d'étudier ce que nous pouvions faire, de reconnaître les lieux que nous pourrions rejoindre le moment venu. Gigors en particulier.


6 juin J'étais alors fiancé à Mademoiselle Marie-Louise MARQUET, préparatrice en pharmacie chez Madame PLANAS, qui devint mon épouse le 7 août 1943.

Au cours de l’automne 1943, le Docteur PLANAS nous avait demandé de nous installer chez lui, ma femme s’occupant de la pharmacie. Par mesure de sécurité, Madame PLANAS était partie à La Motte d'Aveillan. Je continuais de travailler à la ferme de mes parents au quartier de Rostaing et rejoignais ma femme le soir chez le Docteur PLANAS. Quand ce dernier était absent, nous répondions aux appels des malades et j'allais prévenir son remplaçant, le Docteur MOUROUX, qui habitait sur la route de Beauvallon, en face de la salle polyvalente actuelle. Je l’accompagnais aussi chez les malades il ne connaissait pas l’adresse.

Se tenir prêt pour le 6 juinCourant Novembre 1943, le Docteur PLANAS m’a demandé de lui cacher des  armes. J'ai bien sûr accepté, et il m’a confié une mitraillette STEN, un Colt de 10 mm tirant des balles en plomb avec un canon long de 15 cm, ainsi qu’une grenade défensive MILLS.


Se tenir prêt pour le 6 juin

Au début de 1944, il m'a redemandé si je pouvais encore transporter et cacher un important stock d'armes. Ayant accepté, je me rendis alors avec un tombereau attelé d'un cheval au quartier des Chabertes, sur la route de Montoison dans une ferme habitée par Monsieur DROGUE, qui appartenait à Monsieur DUGAND alors boulanger sur la place de la République à Etoile. Un camion y déchargeait des containers provenant d’un parachutage effectué dans la région de Bourdeau. Je transportais donc ces armes : FM, fusils, mitraillettes, munitions, grenades, plastic, etc. et les cachai dans une maison inhabitée appartenant à Monsieur Pierre PARADIS, qui servait d’entrepôt à mes parents.

Peu de temps après, j'effectuai un deuxième transport d’armes, puis un troisième quand, toujours à la demande du Docteur PLANAS, je dus aller chercher un autre dépôt d’armes chez Monsieur PLATEL au quartier de Controu actuellement le quartier de Vigeon où habite aujourd’hui Monsieur MAISSONI, Maire d’Étoile.

À la suite de différents sabotages sur les voies ferrées et au dépôt des locomotives à Portes-lès-Valence, les deux groupes de résistants avaient décidé de monter la garde au carrefour de la Croix afin de prévenir si nécessaire les hommes d’Étoile et leur permettre de se cacher pour ne pas être pris en otages comme cela s’était hélas passé dans le Diois.
À cette époque, le Docteur PLANAS me présenta un instructeur qui avait été parachuté. Celui-ci m’enseigna le montage, le démontage et le fonctionnement des armes en ma possession afin que plus tard je puisse à mon tour servir d’instructeur aux autres résistants.

Il m'envoya aussi le Lieutenant RIORY à qui je fis la démonstration des armes anglaises et américaines qu’il ne connaissait pas. Le Lieutenant RIORY trouva hélas la mort lors des combats du 6 juin.

La section LAURENT organisait des réunions chez André BERGERON pour se familiariser avec les armes que j’amenai pour se faire du dépôt de Rostaing.

Les jours passaient lentement, mais quand arriva la fin du mois de mai, on sentait que quelque chose se préparait.

Les derniers dimanches du mois les gars de chez PLANAS vinrent au dépôt où je leur enseignai le fonctionnement des armes à notre disposition : FM, fusils, mitraillettes, grenades.

Enfin arriva le 5 juin ! Ce jour-là, vers 17 heures, Edmond BOISSIER de Grâne vint me prévenir que Pierre LAURENT avait été pris par la Milice alors qu’il déjeunait au restaurant BILLARD à Grâne. Je partis aussitôt prévenir Madame LAURENT, pas très rassuré d’avoir à lui annoncer cette mauvaise nouvelle.

Après avoir récupéré ce qui pouvait être compromettant : liste des membres du groupe, manuel de sabotage, etc., Je repartis chez moi. À mon passage je prévins Lucien MICOUD, qui décida de se joindre à nous bien que faisant partie d’une autre formation.

Vers 20h30, comme tous les soirs, j’arrivai chez le Docteur PLANAS. Dès mon arrivée celui-ci me dit: « Le message est passé, le débarquement a lieu cette nuit. Il faut que tu ailles à Livron prévenir Roger DEBEAUX et VALETTE pour qu'ils fassent sauter les voies sur Loriol, La Voulte, Étoile et Allex.».

Pour me couvrir en cas de rencontre avec une patrouille allemande, les occupants ayant instauré le couvre-feu, le Docteur me fit une ordonnance prescrivant un hémostatique pour une hémorragie. J’ai constaté plus tard qu'il s’était trompé de date. J'ai toujours cette ordonnance !

La nuit tombée, je partis à bicyclette pour Livron. Je roulai bien sûr sans éclairage. À peine avais-je passé le quartier de Fongrand, où j'étais né 24 ans plus tôt, que j'eus la malchance de crever ma roue avant. À cette époque les pneus n'étaient pas toujours en bon état ! Je continuai donc de rouler, à plat, jusqu’à Livron. À l’entrée du village je cachai mon vélo dans une haie et montai au haut-Livron, pour redescendre directement chez Roger DEBEAUX, n'ayant alors qu’à traverser la RN7.

Roger me dit : « Nous allons chez VALETTE, route d'Allex ». Nous remontâmes donc au haut-Livron pour traverser jusqu’au Plana et descendre sur la route d'Allex, presque en face de chez VALETTE. Après une mise au point avec ce dernier et Roger. i je repartis pour Étoile. Roger m'avait demandé de m’arrêter chez LOISEAU à l’entrée de Livron, route de Fongrand, pour lui dire de nous rejoindre et pour réparer ma roue. Je prévins donc LOISEAU, réparai ma roue et rentrai à Étoile où j'arrivai vers 2 heures du matin.

Je venais d’arriver à la maison, quand la sonnette de la porte d’entrée retentit. J’allai ouvrir avec prudence. Un homme que je ne connaissais pas se présenta. C'était le Commandant L'HERMINE, chef de résistance dans la Drôme. Il me demanda où était le Docteur PLANAS (alias SANGLIER dans la Résistance). Je lui dis que ce dernier était parti avec son fils Richard et un groupe d’Etoiliens pour la Paillasse en vue de saboter les voies ferrées. Il me confirma le débarquement et l’application du plan vert, me demanda de prévenir tous les volontaires d’avoir à prendre le maquis et d'envoyer un agent de liaison chez CHANTRE à Beauvallon pour demander à celui-ci de faire sauter le dépôt SNCF à Portes-lès-Valence. CHANTRE n'attaqua pas le dépôt. Heureusement, car les représailles auraient été terribles. Après avoir donné ses ordres le Commandant L'HERMINE demanda à ma femme de lui décolorer les cheveux, afin de retrouver sa teinte naturelle.

Je partis aussitôt dans le village prévenir les gars de chez LAURENT d'avoir à se rassembler au haut village, route de Montoison. J'envoyai mon beau-frère, André MARQUET, prévenir quelques éléments sur Montmeyrand et Beaumont-lès-Valence.

Vers 3 h 30 quelques garçons de la section se mirent en route pour rejoindre Vaunaveys. Il y avait, entre autres, René REY, Jean VIGNAL, Lulu BOIS, Charles VIGOUREUX, Henri ROUVEURE, Alain et Louis OLAGNON, Joseph COLEUR.

Lucien MICOUD, André MARQUET, Marcel BILLON, André ESCOIFFIER, Fernand CHERION, Marcel et Pierre BUIX et moi-même restâmes à Etoile avec la Compagnie SANGLIER.

Le jour venant, le Capitaine SANGLIER donna l’ordre d'aller récupérer les armes au quartier de Rostaing et de les apporter à son domicile. Je ne me souviens plus quel moyen de transport nous avons utilisé. Il me semble que c'était un tombereau et un cheval. Nous avons transporté les armes à bras sur environ 200 mètres pour les charger sur le chemin des Donnays, vers les Trois Châtaigniers. Pour exécuter cette mission, nous étions une dizaine: Louis ROBIN, Marius PEYRARD, SAHY, LAFFARE, CHERION et quelques autres.

À notre r retour, avec Fernand CHERION, nous allâmes à la Marie d'Etoile pour nous faire remettre les listes préparées pour le départ des jeunes au STO (Service du Travail Obligatoire) afin de les soustraire aux allemands.


Se tenir prêt pour le 6 juin

Pendant ce temps, dans la cour de la villa, les gens s‘affairaient à dégraisser les armes et à pétrir en le plastic pour la confection des grenades GAMMON.

À la suite d’une maladresse d’un de ses membres, la patrouille envoyée pour récupérer les armes déposées dans un cabanon au quartier des Routes, avait été prise à partie par les allemands. Les renforts envoyés avec un camion ne purent faire grand-chose, les ennemis arrivant en nombre. Par manque de coordination, des éléments de la première patrouille se trouvèrent alors isolés dans la maison COMBE. Le Lieutenant RIORY et Georges DURAND furent tués, ainsi que Madame COMBE et son fils François. André CLE YSSAC et Édouard MAVET purent miraculeusement s’échapper par une fenêtre.

Pendant ce temps, pour protéger leur repli, le Capitaine SANGLIER m’envoya avec André MARQUET, Marcel BUIX et quelques autres prendre position à La Côte avec un FM. Nous recueillîmes Gabriel VIOUGEAS qui avait reçu une balle dans le bras. Ne voyant plus personne venir, nous nous repliâmes sur la villa. Pierre LAURENT, qui avait été relâché entre-temps, était là et nous nous sentîmes réconfortés.

Le Capitaine SANGLIER donna alors l’ordre du repli. Nous chargeâmes aussitôt tout le matériel sur le camion, et même dans une ambulance, et nous partîmes en direction de Montoison. Nous ne pûmes aller bien loin. L’ambulance tomba en panne à la montée, juste en-dessous du giratoire actuel. Après plusieurs manœuvres nous parvinrent enfin à la faire redémarrer. Tandis que nous nous affairions à remettre l’ambulance en marche nous avons vu passer les renforts allemands qui venaient du haut de La Place d'Armes et prenaient la descente de La Grand-Rue, mais fort heureusement sans nous voir.

Après un arrêt à Montoison, nous prîmes un chemin à gauche, à la sortie sud du village, en direction d'Upie.

Le camion et son chargement d’hommes et de matériel se dirigea vers Ourches, puis Upie et Vaunaveys, puis la route Crest-Chabeuil. À Vaunavey-Gare il déposa les gars de LAURENT. Passagers de l’ambulance nous fûmes déposés dans les bois. La nuit tombée, nous partîmes à pied pour la ferme RIPERT, au-dessus d'Ourches. Quand nous arrivâmes à proximité, comme la nuit n’était pas terminée, nous prîmes un peu de repos dans une haie.

Le jour venu, les gars du Capitaine SANGLIER s’installèrent à la ferme, tandis que Pierre LAURENT, Marcel BUIX et d’autres partirent pour Vaunaveys afin de rejoindre la 6e Compagnie BEN. À cause des armes je devais pour ma part rester avec le 4e Compagnie SANGLIER jusqu’à la fin juin.

Nous venions de commencer une aventure qui devait durer presque trois mois, jusqu’à la libération de Valence le 31 août.

Tels sont mes souvenirs de ce 6 juin 1944.

50 ans après j’ai pu oublier, bien involontairement, certains faits ou certains noms.
Je présente mes excuses très sincères à ceux que j'ai oubliés.

Date de dernière mise à jour : 15/11/2023

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